Retrouvez le courrier envoyé par ces organisations :
Objet : Projet dérogation néonicotinoïdes pour saison 2022
Monsieur le Premier Ministre
Nous, organisations signataires, vous écrivons pour exprimer notre refus d’une nouvelle
dérogation à l’interdiction des néonicotinoïdes. Face aux dangers clairement
documentés que font peser ces insecticides sur la biodiversité et les pollinisateurs,
nous vous demandons donc de renoncer à cette dérogation et de ne pas publier cet arrêté
de dérogation.
Les néonicotinoïdes sont des insecticides systémiques, aux doses létales très basses et
rémanents, dont les effets néfastes sur l’environnement et les insectes pollinisateurs ont été
largement décrits scientifiquement. Le risque qu’ils présentent pour l’environnement ne peut
pas être circonscrit, de nombreuses études scientifiques démontrent en effet leur capacité à
se répandre dans l’environnement de différentes manières.
De nombreuses faiblesses dans le dossier soumis à consultation du public plaident pour un
refus pur et simple de la dérogation.
● Ainsi le modèle météo utilisé pour prévoir une éventuelle pullulation du puceron,
vecteur de la jaunisse de la betterave, s’est montré incapable de prévoir que l’année
2021 serait plutôt froide et l’apparition des pucerons tardive. Comment alors penser
que les prévisions actuelles, sur lesquelles s’appuie la demande de prolongation de la
dérogation seraient fiables ?
● De même les réservoirs viraux semblent rares d’après les documents officiels fournis
au conseil de surveillance et cela contredit l’idée d’un risque fort de pression de la
jaunisse de la betterave en 2022.
Ces incertitudes fortes sur la prévision d’un risque de jaunisse important en 2022 ne
devraient pas conduire à l’octroi d’une nouvelle dérogation, alors que le gouvernement
propose au contraire de reconduire automatiquement en 2022 la dérogation de 2021 pour
l’emploi de ces insecticides tueurs d’abeilles, sans la moindre restriction.
Ces inquiétudes et d’autres ont été également relayées par des chercheurs de l’INRAe
dans le cadre d’une lettre ouverte à leur direction publiée ce 10 janvier.Ils expliquent que ce
courrier vise à "éclairer au mieux une décision publique responsable, en ayant comme
référence l’intérêt général qui ne devrait rien sacrifier au court terme défendu par
une filière sucrière principalement fragilisée par la décision politique de fin des
quotas".
Par ailleurs, les textes en consultation accréditent l’idée d’un octroi automatique d’une
dérogation générale sous la pression du secteur betteravier, identique à celle de 2021.
Les alternatives existent, puisque près d’une vingtaine a été identifiée par l’ANSES en 2021,
dont quatre utilisables dès cette année1. Il est fort regrettable qu’aucun signe d’une ultime
trajectoire de sortie définitive de l’usage dérogatoire des néonicotinoïdes se dessine par :
– La mise en oeuvre et l’accompagnement de ces solutions
– Une mise en place de haies et mosaïque paysagère comme habitats des auxiliaires
de cultures, bénéfique non pas seulement à la régulation des pucerons, mais
également à la restauration de la biodiversité, la régulation des autres ravageurs des
cultures,au stockage de carbone, etc.
– Une restriction de la dérogation aux zones dans lesquelles la pression virale
semble devoir être la plus forte. C’est ce qu’avait fait l’Allemagne en 2021 en
n’accordant une dérogation qu’à environ 126 000 hectares seulement sur 400 0002.
– Une baisse du dosage des produits employés pourrait aussi être mise en œuvre, ou
des semis mixtes semences traitées et non traitées afin de commencer à réduire la
pression sur les écosystèmes.
– Pourrait également être envisagée une dérogation pour traitements curatifs
uniquement en pulvérisation avec des produits moins toxiques au cas par cas en
situation de menace extrême, à l’inverse de l’usage purement préventif des traitements
de semence, pourtant contraire aux principes de la Directive européenne 2009/128
pour une utilisation durable des pesticides.
Ces premiers pas devraient clairement marquer le commencement de la fin des dérogations
pour les néonicotinoïdes.
Enfin, il est indispensable de rendre obligatoires des mesures culturales de prévention,
totalement absente du discours officiel actuel.
A l’aube des élections présidentielles 2022, le non-respect de l’engagement du candidat
Emmanuel Macron en février 2017 de travailler à l’élimination progressive des pesticides et
de respecter l’interdiction d’usage de ces pesticides néonicotinoïdes prévue dans la loi de
2016 fait tache. Nous vous appelons ainsi à revenir sur ce nouveau projet de dérogation afin
que la France puisse aussi incarner dans le cadre de sa présidence du Conseil de l’Union
Européenne un Etat exemplaire qui agit sans ambiguïté pour la sortie des pesticides,
engagement réaffirmé par le Président au Congrès mondial de la Nature de l’UICN en
septembre dernier.
Vous remerciant de votre attention, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Premier Ministre,
l’expression de notre très haute considération.
Signature, par ordre alphabétique, des représentants des organisations signataires :
Agir pour l’environnement, Jacques Caplat, secrétaire général
Bee Friendly, Bertrand Auzeral, président
Confédération Paysanne, Nicolas Girod, porte-parole national
Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH), Stéphanie Clément-Grandcourt, directrice
générale
Générations Futures, François Veillerette, porte-parole
Syndicat national d’apiculture (SNA), Frank Alétru, président
Terre d’Abeilles, Béatrice Robrolle, présidente
Union Nationale de l’Apiculture Française (UNAF), Christian Pons, président
Copie à :
M. Julien Denormandie, Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation
Mme. Barbara Pompili, Ministre de la Transition Ecologique