Après avoir mis en évidence l’inefficacité de la réglementation actuelle d’évaluation des demandes de mises sur le marché des pesticides à protéger les abeilles mellifères et autres insectes pollinisateurs, l’Anses a enfin publié ses recommandations afin de mieux encadrer et prendre en compte les pollinisateurs avant d’autoriser un produit phytosanitaire. Des avancées importantes sont proposées dans ce document. Cependant, l’UNAF souhaite mettre en garde l’Anses sur certains points.
En 2018, l’Anses mettait en évidence l’inefficacité de la réglementation actuelle d’évaluation des demandes de mises sur le marché des pesticides à protéger les abeilles mellifères et autres insectes pollinisateurs. Le 28 octobre 2019, elle a enfin publié ses recommandations afin de mieux encadrer et prendre en compte les abeilles avant d’autoriser un produit phytosanitaire. Avancée notable pour l’Anses, elle recommande, dans l’ensemble, de s’appuyer sur le document guide de l’EFSA (2013) pour évaluer les risques potentiels des pesticides sur les abeilles. Ce document guide incite à mieux prendre en compte dans les évaluations : la toxicité à long terme ou toxicité chronique ; les effets sublétaux c’est-à-dire ceux qui n’entrainent pas une mort immédiate mais qui empêchent le développement normal des abeilles et des colonies ; la toxicité larvaire ; les multiples sources d’exposition comme l’eau, l’alimentation (pollen, nectar) ou l’air et enfin, les autres insectes pollinisateurs tel que le bourdon. L’UNAF souhaite mettre en garde l’Anses sur certains points :
L’avis de 2018 relatif à la « mention abeille » préconisait d’élargir l’interdiction des traitements en floraison à l’ensemble des pesticides, y compris les fongicides et les herbicides, et aux substances systémiques utilisées en pulvérisation avant floraison ou en traitements de semences. Les recommandations qui viennent de paraître ne précisent jamais clairement quels sont les produits phytopharmaceutiques concernés par les évolutions méthodologiques proposées. Faut-il rappeler les impacts notamment des fongicides sur les abeilles ? Par exemple, le Fluazinam, dont l’autorisation de mise sur le marché est actuellement en révision, est toxique aux stades immatures de l’abeille. Citons aussi le cas des fongicides SDHI, finalement pas si sélectifs et qui impacteraient la respiration cellulaire des abeilles, des vers de terre mais aussi de l’Homme . Attention donc à ne pas se limiter in fine aux insecticides et acaricides !
Aucun calendrier qui donnerait des indices sur les délais d’application des évolutions méthodologiques n’est proposé. La France devra-t-elle attendre les calendes grecques pour voir ces recommandations mises en œuvre alors que l’Anses reconnait que les méthodes d’évaluations actuelles sont inefficaces pour protéger les abeilles mellifères et les autres pollinisateurs ? L’UNAF rappelle donc à l’Anses les risques juridiques encourus si elle n’applique pas rapidement le document guide de l’EFSA (2013), seul texte à même de respecter les exigences du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil.
En ce qui concerne les recommandations au cas par cas :
– L’UNAF insiste tout particulièrement sur l’étude des effets cumulatifs ou synergiques en laboratoire. Les évaluations ne peuvent pas être fondées sur la considération des effets des différentes molécules considérées séparément, comme nous l’avons vu faire fréquemment dans le passé . Des études réalisées avec le produit formulé sont nécessaires à chaque fois qu’il y a plus d’une substance active ou que la formulation n’aurait pas fait l’objet d’essai dans le cadre du dossier européen d’autorisation. Il arrive en effet que des produits utilisés dans la formulation soient plus toxiques que la substance active… et ce n’est pas si rare.
– Il est, certes, peu fréquent que les abeilles collectent l’eau de guttation. Cependant, lorsqu’elle est consommée, elle l’est massivement. Les conséquences peuvent donc s’avérer catastrophiques pour les colonies si l’eau de guttation est contaminée. En l’absence de connaissances sur les conditions qui amènent les abeilles à la collecter, l’UNAF demande que cette voie d’exposition soit systématiquement considérée si des résidus de pesticides sont susceptibles d’y être présents, avec les analyses nécessaires, le cas échéant.
– Les tests en semi-champ comme l’OECD 75 et en champ pour évaluer les risques et les effets aigus et sublétaux sont intéressants mais ont leurs limites. D’un côté, les expérimentations sous tunnel ne permettent pas d’évaluer les effets quantitatifs du produit sur le couvain étant donné que le confinement induit toujours une réduction de celui-ci. Les effets produits sont donc au moins partiellement cachés. D’un autre côté, les tests en champ ne permettent pas de reproduire les conditions réelles d’exposition des abeilles, sauf dans le cas des feeding-tests. Il est important de ne pas perdre de vue ces limites lorsque les conclusions de ces études sont tirées.
– En ce qui concerne l’évaluation des risques chroniques et larvaires, l’ANSES recommande le calcul des ETR, qui devront être comparées aux valeurs-seuil figurant dans le document EFSA GD 2013. Toutefois l’ANSES ne précise pas si ces valeurs-seuils seront celles effectivement utilisées pour décider de l’imposition de tests de plus haut degré. Est-ce le cas ? Sinon, quelles seront les valeurs-seuils utilisées interroge l’UNAF ?
– Dans le cas où un risque inacceptable pour les abeilles et les autres insectes pollinisateurs ne pourrait pas être exclus, l’Anses recommande de mettre en place des « mesures de gestion pertinentes » en vue de limiter l’exposition des abeilles. La non définition de ces mesures est dangereuse. L’UNAF ne souhaite rappeler la situation de la mention « en l’absence d’abeille » dont les conditions d’exécution ne sont pas décrites dans l’Arrêté Abeilles . Résultat, cette mention est actuellement difficilement applicable voire inappliquée. L’UNAF insiste sur la nécessité que ces mesures soient réalistes, facilement réalisables par les opérateurs et contrôlables. Suffisamment de préconisations de ce type ne sont, aujourd’hui, pas appliquées avec des conséquences dramatiques sur la biodiversité.