Le 8 mars, deux rapporteurs spéciaux dont la rapporteuse spéciale sur le droit à l’alimentation ont présenté un document très critique sur l’utilisation des pesticides dans le monde.
Rappelant que 200.000 personnes meurent chaque année d’intoxication aigüe du fait des pesticides et énumérant leurs impacts sur la biodiversité, les experts dénoncent les « stratégies marketing agressives et contraires à l’éthique » des producteurs de pesticides et les mythes véhiculés par ces derniers.
Premier de ces mythes : les pesticides sont essentiels à la sécurité alimentaire de la population mondiale. Pour les auteurs, « l’utilisation de plus en plus de pesticides n’a rien à voir avec la réduction de la faim [dans le monde]. Selon la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), nous pourrions nourrir 9 milliards de personnes aujourd’hui.
La production augmente, mais le problème demeure la pauvreté, les inégalités et la distribution ». Pour eux, le droit à une alimentation suffisante, reconnue par la Déclaration universelle des droits de l’homme, s’arrête là où commence la contamination par les pesticides « car ce droit englobe le droit à une nourriture exempte de substances nocives ». Les experts soulignent des encadrements juridiques plus laxistes dans les pays en voie de développement « où les réglementations dans le domaine de la santé, de la sécurité et de l’environnement sont plus souples et appliquées moins rigoureusement »… Ils recommandent donc la mise en place d’un traité mondial sur la réglementation des pesticides dangereux et la promotion de l’agroécologie, avec des mesures financières incitatives et une assistance technique.
Nous reproduisons dans ces colonnes l’introduction du rapport, qui résume clairement les 27 pages du texte :
– 1. Le présent rapport de la Rapporteuse spéciale sur le droit à l’alimentation a été écrit en collaboration avec le Rapporteur spécial sur les incidences sur les droits de l’homme de la gestion et de l’élimination écologiquement rationnelles des produits et déchets dangereux.
Les pesticides, dont l’usage fait l’objet d’une promotion agressive, posent un problème du point de vue des droits de l’homme à l’échelle de la planète, et leur utilisation peut avoir de très graves répercussions sur l’exercice du droit à l’alimentation. Se définissant comme tout produit ou mélange de produits composés d’ingrédients chimiques ou biologiques visant à repousser, à détruire ou à maîtriser les ravageurs ou à réguler la croissance des plantes, les pesticides sont, d’après les estimations, à l’origine de 200 000 décès par intoxication aiguë chaque année au total, dont 99 % surviennent dans les pays en développement, où les réglementations dans le domaine de la santé, de la sécurité et de l’environnement sont plus souples et appliquées moins rigoureusement. Si les informations relatives à l’usage des pesticides au niveau mondial sont incomplètes, il est généralement admis que les doses d’utilisation ont considérablement augmenté au cours des dernières décennies.
– 2. En dépit des dommages liés à l’utilisation excessive des pesticides et aux pratiques dangereuses qui y sont associées, il est fréquemment avancé que l’agriculture industrielle intensive, fortement tributaire des apports en pesticides, est indispensable pour accroître les rendements et nourrir une population mondiale en augmentation, en particulier au vu des effets néfastes des changements climatiques et de la rareté des terres agricoles au niveau mondial. En effet, au cours des cinquante dernières années, la population mondiale a plus que doublé, tandis que les terres arables disponibles n’ont augmenté que de 10 % environ. L’évolution des technologies en matière de fabrication de pesticides, ajoutée aux autres innovations agricoles, a sans conteste contribué à permettre à la production agricole de faire face à des hausses sans précédent de la demande alimentaire. Cela dit, la santé humaine et l’environnement en ont pâti. De la même manière, l’accroissement de la production vivrière n’a pas permis d’éliminer la faim dans le monde. Le fait d’être tributaire de pesticides dangereux est une solution à court terme qui porte atteinte au droit à une alimentation suffisante et au droit à la santé des générations actuelles et des générations futures.
– 3. Les pesticides sont à l’origine de nombreux dommages. Les eaux de ruissellement en provenance des cultures traitées polluent régulièrement l’écosystème environnant et au-delà, ce qui aura des conséquences écologiques imprévisibles. En outre, la diminution des populations de ravageurs perturbe l’équilibre complexe entre les prédateurs et les proies dans la chaîne alimentaire, déstabilisant ainsi l’écosystème. Les pesticides peuvent également porter atteinte à la biodiversité des sols et contribuer à la fixation de l’azote, ce qui peut conduire à une chute considérable des rendements des cultures et poser des problèmes du point de vue de la sécurité alimentaire.
– 4. Bien que la recherche scientifique confirme les effets néfastes des pesticides, prouver qu’il existe un lien incontestable entre l’exposition aux pesticides et les maladies ou affections de l’homme ou encore les dommages causés à l’écosystème est une tâche particulièrement ardue. Elle l’est d’autant plus que l’ampleur des dommages causés par ces produits chimiques est systématiquement contestée, ce à quoi concourent l’industrie des pesticides et l’industrie agroalimentaire, et les pratiques commerciales agressives et contraires à l’éthique ne rencontrent toujours pas d’opposition.
– 5. L’exposition aux pesticides peut avoir de graves répercussions sur l’exercice des droits de l’homme, en particulier le droit à une alimentation suffisante, ainsi que le droit à la santé. Le droit à l’alimentation fait obligation aux États de mettre en œuvre des mesures de protection et d’élaborer des prescriptions en matière de sécurité alimentaire pour garantir que les produits alimentaires sont sans danger, exempts de pesticides et de qualité adéquate. En outre, les normes relatives aux droits de l’homme exigent des États qu’ils protègent les groupes vulnérables, tels que les ouvriers agricoles et les communautés agricoles, les enfants et les femmes enceintes, contre les effets des pesticides.
– 6. Bien que certains traités multilatéraux et d’autres initiatives non contraignantes offrent un certain nombre de garanties limitées, il n’existe pas de traité global portant réglementation des pesticides très dangereux, ce qui constitue toujours une grave lacune dans le cadre de la protection des droits de l’homme.
– 7. Il est possible de produire sans produits chimiques toxiques ou avec une quantité minimale de tels produits des aliments plus sains et riches en éléments nutritifs, avec de meilleurs rendements sur le long terme, sans polluer et sans épuiser les ressources environnementales. La solution consiste à adopter une approche globale du droit à une alimentation suffisante, prévoyant le retrait progressif des pesticides dangereux et la mise en place d’un cadre réglementaire efficace fondé sur les droits de l’homme ainsi que le passage à des pratiques agricoles durables qui tiennent compte de la rareté des ressources et des changements climatiques. »
Intégralité du rapport