A l’audience du 6 février 2025, la Cour administrative d’appel de Marseille a examiné la demande de l’Union Nationale de l’Apiculture Française (UNAF) visant à l’annulation de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) des produits CLOSER et TRANSFORM contenant le néonicotinoïde sulfoxaflor.
Le Rapporteur Public a en effet conclu comme le demandait l’UNAF à l’annulation de ces AMM pour deux motifs essentiels :
– Les effets synergiques du sulfoxaflor avec les autres substances actives et les autres coformulants contenus dans les produits, n’ont pas été pris en compte au stade de l’évaluation de l’innocuité du produit par l’ANSES ;
– L’AMM a été accordée en l’absence d’évaluation établissant que l’utilisation de ces produits n’entraînait pas d’effets inacceptables sur les larves d’abeilles, le comportement des abeilles ou la survie et le développement de la colonie, à court et à long terme, contrairement à l’exigence de la règlementation européenne.
La décision du juge administratif devrait intervenir précisément au moment où l’Assemblée nationale va examiner la proposition de loi initiée par le Sénateur Laurent Duplomb visant à revenir sur l’interdiction de la mise sur le marché de produits mettant en œuvre des néonicotinoïdes, en créant un type d’autorisation dérogatoire qui serait délivré par décret.
Pour Christian Pons, président de l’UNAF : « L’annulation des autorisations de mise sur le marché du CLOSER et du TRANSFORM serait une reconnaissance de notre combat pour une agriculture respectueuse des pollinisateurs et un signal positif dans un contexte de régression évidente de la protection des abeilles et de l’environnement. Cette décision du juge administratif rappellerait que les règles de précaution doivent primer sur les intérêts économiques. La raison d’être de notre syndicat est d’oser s’attaquer à des multinationales dans l’intérêt des apiculteurs, des apicultrices et de la protection de l’environnement ».
L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille est attendu dans les prochains jours.
L’UNAF restera vigilante face à toute tentative de contournement des réglementations de protection des abeilles et continuera de défendre au parlement et en justice l’apiculture française contre les dangers de l’agrochimie.
Rappel de l’affaire :
Résumé du combat judiciaire de l’UNAF contre Corteva Agriscience, initié en 2017.
En novembre 2017, l’UNAF entamait un contentieux visant à l’annulation des décisions d’autorisation de mise sur le marché (AMM) de deux pesticides tueurs d’abeilles, prises par l’ANSES : le Closer et le Transform. Ces insecticides étaient produits par la société Dow Agrosciences, devenue Corteva Agrisciences, ancienne branche agrochimique et semencière de DowDuPont, dont le chiffre d’affaires est de 17 milliards de US$.
Le Closer et le Transform ont pour substance active le Sulfoxaflor, qui a un mode d’action neurotoxique similaire à celui des néonicotinoïdes.
Pour l’UNAF, les AMM étaient illégales en ce qu’elles ne respectaient pas le règlement européen (CE) n° 1107/2009 encadrant la mise sur le marché des pesticides. Selon ce règlement qui s’impose aux Etats l’ANSES doit, pour évaluer la toxicité des produits les plus toxiques comme le Closer et le Transform, vérifier que le producteur a démontré l’innocuité non pas seulement de la substance active majoritaire dans le produit, mais l’innocuité du produit utilisé dans sa formulation complète incluant toutes les substances actives et tous les coformulants qu’il met en synergie. Cette démonstration doit être faite en condition réelles et elle doit porter sur les larves d’abeilles, le comportement des abeilles, la survie et le développement de la colonie, à court et à long terme.
L’UNAF avait constaté que l’ANSES n’avait pas exercé ce contrôle, comme cela avait déjà été le cas récemment pour d’autres produits phytopharmaceutiques tueurs d’abeilles comme le CRUISER ou le CHEYENNE, dont les AMM avaient déjà été pour ce motif, annulées par le juge administratif.
Un premier succès a été obtenu devant le Tribunal administratif de Nice qui a suspendu en référé les AMM du Closer et du Transform.
Après deux années de procédure contentieuse, le Tribunal administratif de Nice a annulé les AMM du Closer et du Transform, mais par un motif d’ordre général de violation du principe de précaution.
Un appel a été formé le 17 mars 2020 contre ce jugement, par la société Corteva Agrisciences devant la Cour administrative d’appel de Marseille qui a confirmé ce jugement d’annulation des AMM, par d’autres motifs tenant au manque des précision des mesures de précaution imposées à l’utilisateur.
Cet arrêt a été annulé par le Conseil d’Etat du 15 mars 2024 en raison d’une motivation inexacte et insuffisante et l’affaire a été renvoyée devant la Cour administrative d’appel de Marseille pour qu’il soit statué sur les autres moyens d’annulation qui n’avaient jamais été pris en compte depuis de début du contentieux, pour fonder l’annulation des AMM du CLOSER et du TRANSFORM. Ces moyens d’annulation étaient ceux soulevés par l’UNAF.
A l’audience de la Cour administrative d’appel du 6 février 2025, Madame Balaresque, Rapporteure Publique, a demandé à la Cour de confirmer l’annulation des AMM du CLOSER et du TRANSFORM, mais cette fois expressément pour les motifs soulevés par l’UNAF :
"si le motif d’annulation retenu par le jugement attaqué tiré du caractère insuffisant des mesures d’atténuation des risques résultant des conditions d’emploi énoncées par les autorisations litigieuses n’est pas fondé, les moyens tirés de la méconnaissance du principe de précaution sur lequel se fonde le règlement n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 ainsi que de la méconnaissance de ce règlement doivent toutefois être retenus, au regard des insuffisances entachant l’évaluation des risques menée par l’ANSES dans le cadre de la procédure d’autorisation de mise sur la marché des produits. En effet, en premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette évaluation aurait compris une appréciation non seulement des effets propres des substances actives contenues dans ces produits, mais aussi des effets cumulés de ces substances et de leurs effets cumulés avec d’autres composants de ce produit, en l’absence de toute mention de composants autres que le sulfoflaxor dans les conclusions de cette évaluation. En deuxième lieu, il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que l’évaluation menée par l’ANSES aurait été conforme aux principes uniformes d’évaluation et d’autorisation des produits phytopharmaceutiques, en particulier au point 2.5.2.3 du C de la partie I de l’annexe au règlement (UE) n° 546/2011 du 10 juin 2011, en l’absence d’évaluation appropriée du risque établissant « clairement que, dans des conditions naturelles, l’utilisation du produit phytopharmaceutique dans les conditions d’utilisation proposées n’entraîne pas d’effets inacceptables sur les larves d’abeilles, le comportement des abeilles ou la survie et le développement de la colonie », les études toxicologiques sur lesquels se fondent l’évaluation de l’ANSES ayant été réalisées dans des conditions semi naturelles « en tunnel », à l’exclusion de tout essai en milieu naturel alors que les deux produits ont vocation à être utilisés plein champ et à l’air libre.)" (Conclusions de Mme Balaresque Rapporteure Publique devant la Cour).
Selon toute probabilité, la Cour administrative d’appel devrait suivre les conclusions de sa Rapporteure Publique concordant très exactement avec l’argumentaire de l’UNAF, décider que l’annulation des AMM du CLOSER et du TRANSFORM seront maintenues.
Cet arrêt très attendu serait un nouveau coup de semonce à l’encontre de l’ANSES et des producteurs de produits phytoparmaceutiques, lorsqu’ils s’affranchissent de manière inadmissible, des règles d’évaluation de la toxicité imposées par les règlements européens pour les produits neurotoxiques les plus dangereux, tels que ceux qui mettent en œuvre les substances actives néonicotinoïdes et celles d’effets équivalents.
L’arrêt de la Cour est attendu dans les prochains jours.